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Les Orphelins de Saint-Aubert

 un texte de Fernand Robichaud, Sorel-Tracy, QC

 

NOUVEAU - AJOUT en dessous du texte de Fernand

 

Les Orphelins de Manneville (une autre histoire d'orphelins) un texte de Jean-Pierre Robichaud, Abitibi, QC

Note de l'auteur : Les frères acadiens Pierre et François Robichaud, et leurs enfants, se sont réfugiés en Côte-du-Sud, en Nouvelle-France, à l'été 1759. À ce jour, nous ignorons la date et l'endroit du décès (vraisemblablement à l'hiver 1759) de François et de son épouse Marie Bélisle( vraisemblablement en 1766). Il apparaît donc que les enfants (âgés de 2 à 19 ans en 1760  de François et Marie, ont été orphelins. 

 

...en décembre. On sait que le père ( François ) était décédé avant même la traversée. Marie "la métisse' , son épouse, suivra moins de quatre ans après l'achat d'une terre dans la seigneurie de Port-Joli.

 

Fernand Robichaud (à Maurice à Alfred), Sorel-Tracy, QC.

Huit des onze orphelins en 1927

JANVIER 1760

L’Islet, Côte-du-Sud, Nouvelle-France

 

La Nouvelle-France est sous le joug de l’empire britannique depuis l’automne. C’est la famine dans la colonie; tout est rationné. La Côte-du-Sud, « le grenier de la colonie », a été brûlée par les troupes à l’automne. On en est à manger le reste du bétail. On y trouve quelques rares semences pour espérer une prochaine récolte.

 

Des Acadiens continuent à arriver « en Canada » chassés de leur Acadie, et rejoignent les nombreux autres arrivés au cours des dernières années. Comble de malchance, plus de cinq cents d’entre eux ont été victimes de l’épidémie de « petite vérole » au cours de la dernière année.

 

Plusieurs décident de se réfugier dans les campagnes où il est plus facile de survivre. Ces réfugiés qui viennent à peine de quitter un malheur se voient face à un autre… semblable à plusieurs égards : famine, maladie, joug britannique, vie de nomade.

 

C’est ainsi que deux familles acadiennes se retrouvent à l’Islet, en Côte-du-Sud : celles des frères Pierre et François Robichaud, lesquels ont « traversé en Canada » à partir du Nid d’Aigle, en Rivière Saint-Jean. Deux familles totalisant maintenant quatorze enfants dont la majorité ont moins de dix ans. On vient d’inhumer le petit Jean-Baptiste à Pierre, 3 ans, en décembre. François, l'époux de Marie Bélisle, était déjà décédé avant la traversée. Marie, veuve, décède 6 ans plus tard, 4 ans après l'achat d'une terre à Saint-Jean-Port-Joli. Son fils Joseph s'y établira et assurera une descendance Robichaud en Côte-du-Sud.

 

Voilà donc les enfants de la famille à François devenus orphelins dans ce nouveau pays où les conditions de vie sont précaires. En fait, ce sont des conditions de survie. Il est facile d’imaginer l’aide apportée à ces orphelins par la famille du frère Pierre et son épouse Françoise. Le courage et la détermination autant de ces orphelins que de la famille de Pierre, incluant les grands talents de « coureur des bois » de celui-ci, ont été nécessaires pour assurer un avenir et une descendance à ces réfugiés d’Acadie.

 

 

DÉBUT DES ANNÉES 1900

St-Aubert, Côte-du-Sud, Québec

 

Voilà que six générations plus tard, le décès d’un descendant en ligne directe de François « le jeune » Robichaud, soit Alfred à Samuel, nous amène à une histoire de famille qui n’est pas sans rappeler celle de l’ancêtre acadien.

 

Alfred Robichaud à Samuel, quitte le bout du rang trois à St-Aubert de l’Islet, où était établi Samuel, et dont la succession sera assurée par Louis, frère d’Alfred. Alfred s’installe sur un lot abandonné, un demi mille plus à l’ouest dans le même rang; un lot sur lequel son père avait mis la main en vue de l`y établir. En 1900, à 25 ans, Alfred épouse Dorilda Chouinard, du même rang.

 

Alfred remet rapidement de l’ordre sur la terre abandonnée et y établit vaillamment sa nouvelle famille. Mais voilà que son épouse Dorilda décède en avril 1922, « trop jeune » à l’âge de 41 ans. Elle laisse Alfred avec une maisonnée de sept garçons et cinq filles, âgés de dix mois à vingt et un ans.

 

L'aînée des filles, Marie-Ange âgée de 18 ans, comprend vite qu'elle devra se substituer en mère de famille. Joséphat l'aîné de 21 ans à la mort de sa mère, a déjà pris les responsabilités qui incombent à son statut, soit de prendre la relève du bien paternel. Mais l'aide de Joséphat fut de bien courte durée puisqu'il décède d'appendicite, à 22 ans, en juillet 1923.

 

Dès ce moment, Alfred s'inquiète pour l'avenir de sa famille car lui-même traîne une maladie pulmonaire qui ne cesse de s'aggraver. La grand-mère Vitaline, maintenant au village, aura un œil vigilant sur la jeune famille. Alfred ira même à convenir une entente verbale avec le cousin Donat, affectueusement appelé «mononcle » par les enfants, qu'advenant son décès, Donat accepte de s'occuper de la famille jusqu'à ce que Paul et Maurice atteignent leur majorité. Comble de malheur, deux années plus tard, en mai 1925, Alfred décède lui aussi « trop jeune » à 49 ans, suite à sa longue maladie pulmonaire.

 

 

MAI 1925

Extrait du Conseil de famille dans la maison familiale de feu Alfred Robichaud

 

Sont présents :

Vitaline Gagnon, veuve de Samuel, mère d’Alfred

Louis Robichaud, frère d’Alfred

Donat Robichaud, cousin d’Alfred

Marie-Ange Robichaud, fille majeure et aînée d’Alfred

Ulric Martel, curé de la paroisse de Saint-Aubert

 

Marie-Ange : Quossé m’as faire? Depuis trois ans que m’man est partie pis que je m’occupe de la trâlée! Joséphat est parti pis là cé p’pa! Pis la terre, pis les animaux, pis la cabane à sucre?

 

Le curé : Oui, ces enfants-là ne peuvent pas rester tous seuls... dans la misère…

 

Vitaline : On va aider Marie-Ange; je vas continuer à venir régulier!

 

Louis: Les pu vieux vieillissent; y vont prendre la r’lève; Paul a 17 pis Maurice va aouère 15 dans queuque jours.

 

Le curé : Oui, mais ils n'ont pas encore leur majorité…

 

Vitaline : Marie-Ange, je vas demander à ta sœur Gabrielle de continuer à t`aider pour un boutte.

 

Louis : Ben moé, je pourrai pas aider ben, ben. J'en ai déjà neuf de 2 ans à 20 ans. Mé, je vas aider pour les sucres pis les foins; chu jusse au bout du rang icitte.

 

Donat : Je vas vous dire, j'avais promis à Alfred que si y venait qu'à partir, je m'occuperais de la famille jusqu'à ce que Paul ou Maurice soit en âge de prendre la terre. Ben je veux tenir ma parole. Mon lot est jusse au boutte de la terre icitte, je vas venir souvent.

 

Marie-Ange : Mé pour tusuite, quossé qu'on fait? On en place tu queuques-uns pour me soulager un brin?

 

Le curé : Je pourrais en placer quelques-uns. J'ai des connections avec les orphelinats pis les communautés.

 

Donat : Je veux pas qu`on les place; je veux qui restent icitte ensemble…

 

Marie-Ange : Cé vré qu`on serait mieux de rester ensemble…

 

Le curé : Si vous pensez que vous pouvez vous en occuper... mais sachez que n'importe quand, je pourrais vous soulagez un peu en n'en plaçant quelques-uns.

 

Vitaline : C'est ben Monsieur le Curé mais je pense que pour tusuite, leu parents seraient ben contents de les ouère rester icitte ensemble, cachés dans les érables à sucre.

 

 

LES ANNÉES PASSÈRENT…

 

… Marie-Ange, son sourire le révélait… il était moins spontané et naturel que celui de ses frères et sœurs. C’est la seule qui paraissait affectée et sa santé psychologique a été fragile toute sa vie. Ses frères et sœurs ont été les enfants qu’elle n’a jamais eus. Elle est restée à la maison une large partie de sa jeunesse, avant de continuer sa vie de célibataire comme dame de maison. Elle a vécu pour les autres sans jamais penser à elle.

 

Et tous ces autres enfants que l’on appelait « les orphelins » dans la paroisse. Eh bien, tous diront plus tard à leurs proches qu’ils ont eu une enfance heureuse… malgré tout.

 

… Gabrielle, 17 ans au décès de sa mère. Elle avait commencé à étudier pour devenir institutrice mais a dû mettre fin à son projet pour seconder sa sœur Marie-Ange dans l’éducation de ses frères et sœurs plus jeunes. Ensuite, elle est devenue aide-familiale, avant de mettre à profit ses talents d’éducatrice avec ses propres enfants.

 

… Juliette, elle se rappela toute sa vie du décès de sa mère exposée dans la demeure familiale. Dès 16 ans, elle se voyait religieuse, mais sa sœur Marie-Ange la trouvait trop jeune… peut-être la trouvait-elle encore trop utile à la maison. Mais la vocation l’attendait… Elle a prononcé ses vœux en 1937, « belle comme une sainte vierge ». Un grand esprit de foi l’animait et par sa gaieté et son large sourire à pincettes, on la savait heureuse…

 

… Irène, le bébé de la famille. Elle n’a connu ni son père ni sa mère. Mais pourtant plus tard, elle avouait « avoir eu une enfance heureuse » grâce à tous ceux qui l’ont entourée, et elle se disait « fière de ses racines ».

 

… Et il y a eu Léon, Wilfrid, Adrien et même Paul et Claire, qui ont répondu à l’appel de la colonisation de l’Abitibi dans les années 1930, en plein temps de « crise économique ». Le « coureur de bois » dans leur génétique leur a servi énormément, à n’en pas douter, de même que l’entraide dont « jeunesses », ils s’étaient nourri. Paul et Claire en sont revenus, préférant s’établir dans leur région natale.

 

… Et Philippe, un bout-en-train, dynamique et brillant. Fondateur de la caisse populaire de Sainte-Louise, paroisse voisine. Beurrier de métier, il terminera sa carrière d’administrateur trop rapidement, décédant d’un infarctus à 54 ans.

 

… Et il y avait Maurice. Celui qui s’est ancré dans cette terre familiale, ce bien paternel que Marie-Ange avait materné. Vitaline voulait peut-être en faire un prêtre en l’envoyant étudié chez les Rédemptoristes… À son retour dans les érables à sucre, ses études lui ont permis de s’impliquer dans le développement de son milieu tout en fondant sa famille.

 

 

ET MAINTENENT QU’ILS NE SONT QUE SOUVENIRS…

 

Longtemps...pour ne pas dire toute leur vie, ces oncles et tantes ont porté le poids du silence de leur orphelinat familial. Mais ces oncles et tantes sont de toute évidence restés affectueusement proche. Il n’a jamais été nécessaire pour eux de beaucoup en parler, comme si l'entente profonde reposait dans le silence. Ce qui avait été compris n'avait pas besoin d'être dit.

 

Ainsi, Juliette, la religieuse, avait appris très jeune que le vrai silence, c’était d’abord de se taire au fond de soi-même. Alors que Marie-Ange a probablement vécu un silence de désespoir; son sens d’exister s’est effondrée dans ses attentes; elle aurait aimé fonder sa propre famille.

 

À l’époque, il n’existait pas de psychologues pour aider une telle famille, mais on devine que ceux et celles qui ont aidé celle-ci à demeurer ensemble ont pris la bonne décision. C’est ensemble que ces enfants pouvaient parler ou ne pas parler de leur vécu. Une grand-mère, un « mononcle » et une grande-sœur, tous biens intentionnés, les ont aidés à reprendre confiance en eux et en la vie, à devenir des adultes prêts à prendre leur avenir en main.

 

Ces enfants se sont sûrement autorisés mutuellement des épisodes de tristesse. Mais ils étaient rassurés par cette grand-mère, ce « mononcle » et cette grande-sœur, qui leur disaient qu’il y aurait toujours quelqu’un pour prendre soin d’eux et les aimer.

 

Bien sûr, ces enfants ont eu une enfance écourtée. Ils ont dû, très jeunes, faire face à des responsabilités parfois trop lourdes. Ils se sont sûrement sentis différents. Mais ils étaient tous restés des « fils » et des « filles » d’Alfred et Dorilda, pas « les orphelins » d’Alfred et Dorilda. Eux seuls le savaient… cachés dans les érables à sucre…

 

 

TEXTE PRÉSENTÉ par Fernand ROBICHAUD lors de la rencontre  des Robichaud au Lac des Trois-Saumons  le dimanche de Pâques, le 20 avril 2014.

 

Moué Samuel, votre arriére grand-pére, l`an passé,  je vous avions raconté un ti-brin mon histouère...
Mon histouère... c`est rien qu`un ti-boutte de ``notre `` histouère...
C`ta fois icitte,  je voudrions vous entre`chindre de ce que mon pére Augustin nous racontions venant de son grand-pére Joseph...

J`hai souvenance de ouwère mon pére Augustin, le souère de même, au fanal, quésiment à noirceur...
Y avait comme l`fixe quand y nous parlions de t`ça ; y avait comme une flâme dans ces trous de z`yeux. Pour l`écouter, y fallait se taiser...

Mon pére Augustin, nous racontions que son grand-pére Joseph, y était né en 1751 du long de la Riviére Saint-Jean en Acadie ; y avait jusse 6-7 ans quand y a ersou par icitte.

Son pére François, avec son frére Pierre, deux nouveaux mariés, y avions dècidé en 1739 de décamper de Port-Royal voyant qui avait pu de place là pour eux-autres ; y ont mouvé du long de la Riviére Saint-Jean, su la concession du beau-pére Belle-Isle.

Y avions pas marié n`importe qui les 2 fréres. Y avions marié les 2 soeurs LeBorgne de Belle-Isle, des Métisses. François avions marié Marie , pis Pierre, Françoise. Leu pére, c`était Alexandre le deuxième, LeBorgne de Belle-Isle qui avait une concession à Riviére Saint-Jean; y avait eu la seigneurie de son pére itou à Grand-Pré que les Anglois y avaient enlevé les droits... Cé par vengeance que son fils, Alexandre le troisième, le frére de Marie pis Françoise, y a pardu la vie dans la bataille pour garder Port-Royal en août 1744. Ça laissé ses enfants orphelins dont le petit Alexandre le quatrième, 8 ans; ses tantes l`ont amené avec eux-autres à Riviére Saint-Jean. Leu mére à Françoise pis Marie, c`était Anastasie de Saint-Castin dont le pére était Jean-Vincent d`Abbadie de Saint-Castin, un grand nom mais un grand personnage itou : un baron français de lignée, un guerrier redoutable qui a défendu les Acadiens pis le fort de Pentagouet pendant 30 ans avec l`aide des Abénakis ; c`était le français le plus haï des Anglois de la Nouvelle-Angleterre... L`épouse à Saint-Castin, c`était Nicoskwé, une Abénakise, la fille du chef Madockawando, sachem de tout le territoire abénaki entre la Riviére Kennebec pis la Riviére Saint-Jean.


Quand tu sé ça pis tu sé ce qui défendait, t`as pas honte d`awouère du sang de sauvage dans les veines qui disions mon père Augustin ...

 

MUSIQUE... amérindienne

En 1755, les Anglois, y ont décidé de régler notre cas pour de bon, voyant ben que notre roi à perruque s`occupait pas de nous autres. Y ont embarqué une gang d`Acadiens de Grand-Pré su les bateaux, mêlé les familles ; y se sont mis à courailler les autres partout en Acadie, brûler leu maisons, voler leu bétail ... À l`été 1758, y ont pris Louisbourg pis à l`automne, Monkton a eurmonté la Riviére Saint-Jean en passant de yousque que le clan Robichaud/Belle-Isle était ... avec d`autres Acadiens un peu tout le long. Mais les Robichaud avaient sacré le camp depuis un boutte... les 2 familles de Pierre pis François, 15 enfants... de bébé à 20 ans ; le neveu Alexandre le quatrième, rendu à 22 ans, est parti avec eux autres.


Y ont eurmonté pu haut su la riviére ; y ont passé un boutte de temps au Grand-Sault avec les sauvages, des Malécites, proches des Abénakis, des bons sauvages ... si t`étaient de leu bord ...; y avaient compris les sauvages que nous autres les Acadiens, on était comme eux-autres, on voulions jusse vivre de la terre, pas s`approprier le territouère comme les Anglois ...


MUSIQUE... amérindienne

En 1759, les Anglois avions faite le tour par de l`autre bord de Gaspé en bateaux, le 1/4 de la flotte angloise. Scott pis ses rangers américains, des ``sans foi ni loi``, y ont brûlé les farmes pis voler le bétail des pauvres paysans de la côte icitte en montant, de La Bouteillerie jusqu`à Beaumont, avant que Wolfe pis ses troupes prennent Québec en septembre ...


En etchipolant, ça ressemblait pas mal à ce qui venait de se passer par en bas... En plus, quésiment en arrivant par icitte, le pére François est mort, ça laissé Marie veuve avec la famille; Pierre pis Françoise y ont ben aidé Marie... Après avoir passé un boutte de temps au Cap su des connaissances, Marie a ramassé une concession seigneuriale dans le deuxième de Port-Joly au coin de la route à Marichon, pis Pierre a faite la même affaire avec les siens dans le rang des Belles-Amours à l`Islet.

Su les 5 fils à François qui ont ersou par icitte, y a jusse Joseph qui sé adapté. Les filles se sont mariées à l`Islet. François à François pis Jean, y ont varnoussé un boutte à Kamouraska pis l`ennui les a pogné ; y ont ertourné à Riviére Saint-Jean avec queuque autres Acadiens ; pauvres eux-autres, y ont été obligés de mouver vers la côte est quand des Loyalistes, des Anglois mais américains ceuze-là, sont venus leu voler leu terres...


Les 2 pu j`heunes, Michel pis Anselme, des vrés coureurs des bois : cé leu oncle Pierre qui leu a tout montré. Pierre cé loué une goélette et cé mis à commarcer avec ses 2 fils, pis Michel pis Anselme, le poisson mais surtout le commarce des fourrures avec les Anglois pis les Malécites, d`un bord pis de l`autre, jusqu`à Québec, pis de de Kamouraska au Madawaska. Y avait encore ben du sang de sauvage dans eux-autres...


MUSIQUE... amérindienne

Wouè, mon pére Augustin m`avions raconté ben des histouères de son grand-pére Joseph ... Y racontions qui parlions anglois les ancêtres, pis que ça ben aidé à se réchapper, à commarcer, autant par en bas que par icitte; pis y a Françoise pis Marie qui parlions l`abénaki pis le malécite; y l`avions appris aux enfants.

Ça a l`air que quand y ont ersou par icitte, ceux qui arrivaient de par en bas, y parlions pas comme les canadiens... y avions pas toujours les mêmes mots pour parler de la même affaire... Nous leur avions montré les points géographiques qui disaient Joseph: le sorûet, le nordet, le sû... Cé vré qui a des mots qui nous appar`chen , des mots couleurés. Encore asteure, des fois y faut que j`explique cé quossé que cé qu` une « tauraille », cé quossé que cé qu`une « vache en neillère ». Y passaient pour des étranges, les réfugiés qui arrivaient de par en bas, surtout nous autres, des Métis...


Wouè, sacré Joseph. Y avait jusse 22 quand y sé marié en 1773. Ça a l`air qui était ben content quand sa mére Marie y a passé la concession de la seigneurie dans le deuxième à Port-Joly ...mais la plus contente pour lui, ça été Marie, sa vieille mére à Joseph, la veuve de Francois, « la Métisse » qu`on l`appelait par icitte , la``petite fille``du grand sachem Madockawando...


MUSIQUE... amérindienne


Wouè, ché pas si dans 100 ans d`icitte y restera queuque chose de notre parlure ...si on aura souvenance de notre histouère ...; la parlure, ça peut se pardre... mais l`histouère... l`histouère, cé de la mémouère vivante...


Ben moué, Samuel à Augustin à François à Joseph à François, j`veux pas pardre la mémouère!

 

À la revoyure!

 

 

Les Orphelins de Manneville (une autre histoire d'orphelins) 

un texte de Jean-Pierre Robichaud, Abitibi, QC

 

Janvier 1956

 

Manneville, Abitibi, Qc  (par Jean-Pierre Robichaud, à Wilfrid, à Alfred)

 

Une génération plus tard, le mauvais sort rattrape à nouveau la descendance Robichaud, cette fois la famille d’Adrien à Alfred. En cette glaciale matinée de janvier, le feu décime cette famille, la mère et 7 des enfants, n’épargnant que quatre d’entres-eux.

 

Voici le récit, romancé mais bien réel, que j’en ai fait :

 

Le drame

 

Après avoir stoppé brusquement devant la cour, Euzèbe s’éjecta de son vieux Plymouth 1942 et, dans sa précipitation, omit d’en refermer la portière malgré le froid intense. Il dévala la descente qui menait à la maison de Wilfrid et grimpa prestement l’escalier de la galerie. Il ouvrit la porte, comme un coup de vent, sans frapper. Il avait une figure de sinistré. Â« Le feu! », râla-t-il du fond de la gorge, tout essoufflé. « Frid, y a le feu en face... » Il ressortit sans refermer la porte. Après un instant de stupeur, Wilfrid se leva d’un bond et se précipita à la fenêtre qui donnait chez son frère, de l’autre côté de la route. Un épais givre collé à la vitre masquait la vue de la maison. Il marcha à longues enjambées vers la porte, toujours ouverte, par laquelle s’engouffrait un nuage blanc. Il attrapa sa veste de lainage au passage et sortit en courant. Il dégringola les escaliers. Sa femme Marie le suivit sur la galerie, ainsi que son fils ainé Ulric, âgé de douze ans.  Elle fut d’abord pétrifiée par ce qu’elle vit, ses jambes flageolèrent. La maison de sa sÅ“ur, qui abritait aussi neuf enfants, crachait une épaisse fumée noire. Son estomac se révulsa et elle faillit vomir. Elle avait toujours entretenu une crainte viscérale du feu. Ces maisons de colonies pouvaient flamber comme une boîte d’allumettes, disait-on. Elle vit Euzèbe, ses courtes jambes arquées transportant son corps aussi vite qu’elles le pouvaient. Il contournait déjà la maison. Elle reconnut aussi son jeune frère s’affairant derrière, du côté de la chambre des maîtres. Puis, à droite de la maison, elle crut apercevoir deux têtes émergeant du banc de neige monté par la déneigeuse. Les enfants sont sortis, reprit-elle espoir. Elle commença à prier. 

 

Soudain, un cri déchirant, un cri primal, qui refuse de mourir, qui veut fuir la mort à toutes jambes, perça les murs et alla s’étouffer là où la fumée se mêlait déjà aux nuages. Une langue de feu lécha le cÅ“ur de Marie et sa poitrine s’enflamma. Appuyée à la rampe pour ne pas s’écrouler, elle vit son mari fracassant, à l’aide d’un madrier, la fenêtre d’où provenait l’appel de détresse. La flamme, étouffée à l’intérieur, s’engouffra rageusement par l’ouverture. Elle lécha le visage de Wilfrid, rôtissant ses poils au passage. Le feu grimpa le long du mur extérieur, jusqu’aux corniches. Marie vit son mari  tentant un bras à l’intérieur, par-dessus le rebord de la fenêtre. Il dut le retirer aussitôt : le feu avait pris à sa manche. Il cala son bras dans la neige pour éteindre la flamme. C’en est fait, tenta de s’avouer Marie. Elle respirait à peine. La maison était décomptée. En pleurant, elle se mit à prier de plus belle et, ses jambes ne la portant plus, elle rentra en titubant. Elle refusait toujours d’imaginer qu’il y ait des victimes. Ils ont sûrement eu le temps de sortir. Mais son intuition lui disait qu’un drame était en train de se produire. Elle s’échoua sur une chaise au bout de la table, dos au mur. Sa tête s’écroula sur ses avant-bras et elle demeura prostrée, son corps agité par des vagues gémissantes, sa bouche pleurant des prières devenues inutiles. 

 

L’ainé Ulric resta pantois devant le panache noir surgissant du pignon de la maison et roulant très haut dans le ciel. Un frisson le parcourût en entendant le cri dément que les murs étouffèrent aussitôt. Il crut reconnaitre la voix d’une de ses cousines, d’un an sa cadette. Il l’imagina courant vers une fenêtre indiquant une issue hors de cette fournaise. Son père Wilfrid dut aussi entendre le cri car il accourut sous la fenêtre. Il le vit saisir un madrier et en asséner un coup à travers l’ouverture. Le verre se fracassa, lui projetant ses éclats au visage.  À l’instant, la flamme s’engouffra par l’ouverture et s’en prit à son père en l’enveloppant. Il dut vivement reculer. Ulric le vit se rapprocher à nouveau et, s’accroupissant, passer un bras à l’intérieur, fouillant à l’aveugle. Il dut aussitôt le ressortir car la manche se consumait. Il planta son bras dans la neige qui siffla sous l’effet de la chaleur. Se ressaisissant, Ulric rentra, chaussa ses bottes, attrapa son manteau et sa tuque. Puis il courut rejoindre son père. Les deux manches de sa veste étaient en lambeau.

 

Wilfrid se rendit rapidement à l'évidence. Les flammes jaillissaient maintenant par toutes les ouvertures. Une solution de dernier recours lui vint à l'esprit. « Euzèbe, saute dans ton char pis va chercher d’l’aide chez l’père Dollard! », cria-t-il à l'autre. « Qu’y emmène les pompes à feu! » Euzèbe s’engouffra dans son taxi, dont le moteur tournait toujours. Il démarra en patinant dans la neige, puis s’élança sur la route. Wilfrid rejoignit ses deux nièces en bordure du chemin. Sur les neuf enfants qui habitaient là avec leur mère, elles étaient les seules qui avaient miraculeusement pu s'échapper du brasier. Complètement affolées, sans manteau ni bottes, réclamant leur mère, les pauvres pleuraient à se fendre l’âme.  

 

Le jour tassait lentement la nuit. L’air s’était adouci, comme si le bûcher de la veille l’avait tiédi. Le ciel était couleur de cendre et écrasait au sol des relents de chair rôtie. Une ombre rôdait autour du trou fumant. Wilfrid n’avait pas dormi. Son dos vouté semblait porter tout le poids de cette hécatombe. Il avait erré toute la nuit entre sa maison, tentant de réconforter sa femme, et le lieu du sinistre où, se faisait-il accroire, une main pouvait tout-à-coup surgir des cendres brûlantes.  Des voisins s’emmenaient lentement, sans conviction. Ils avaient des visages cadavériques, des airs de déterrés. Chacun savait bien qu’il restait un sale boulot à accomplir: sortir les corps calcinés des ruines. Aucun n’en avait envie. Un lourd silence s’installa dans le groupe. Une odeur de chair calcinée tapissait leur palais, comme de la graisse de porc figée.   

 

Marie s’éveilla en sursaut. Ou plutôt sortit de sa torpeur, car elle n’avait point dormi ni bougé du bout de la table où elle s’était affaissée la veille. Elle avait pleuré toute la nuit. La mort rôdait, Marie la sentait, à commencer par la sienne qu’elle avait, dans son désespoir, appelée à quelques occasions au cours de la nuit. Mais on martelait violemment dans son ventre. Le petit qui y gitait regimbait et manifestait, lui, son désir de vivre. Cette réalité, bien vivante celle-là,  frappa, comme le ressac d’une vague, celle du drame de la veille. La vie et la mort s’affrontaient en Marie. Elle, si croyante, en avait soudain après Dieu. Que vaut la vie qu’on met au monde, s’Il se permet de vous l’arracher dans des circonstances aussi cruelles? À ce moment, elle souhaita que ce petit être ne voie jamais le jour. Il y avait sûrement des moyens pour y arriver. Mais l’autre rua de plus belle. Marie mit ses deux mains sur son ventre gonflé comme une outre et y sentit les protubérances que les petits pieds du turbulent y imprimaient. Au même instant, elle aperçut Ulric, son aîné, qui arrivait de l’étage, suivi de quelques autres de ses marmots dans l’escalier. Du coup, son instinct de mère reprit le dessus. Il faut que je me ressaisisse. Mais elle ne se sentait même pas la force de se lever. Quand ses deux nièces survivantes apparurent au pied de l’escalier, le malheur qui les frappait lui apparut dans toute son ampleur. Les petites réclamaient leur mère.  Marie les serra fort, presqu’à les étouffer. Il devint alors clair dans son esprit que, dorénavant, ce serait elle qui serait leur maman. Elle eut la force de se lever et, les jambes ankylosées, marcha en chaloupant vers le poêle, son gros ventre la réduisant à se déplacer avec un dandinement dépourvu de dignité. À l’aide du tisonnier, elle brassa les braises et les alimenta avec une bûche. Elle s’apprêta à faire manger la marmaille.         

 

De l’autre côté de la route, un silence mortuaire régnait. Les décombres exhalaient une intolérable odeur de chair calcinée. Quelques braves, le visage enveloppé dans un foulard, s’affairaient, à l’aide de crochets et de gaffes, à racler minutieusement les décombres. Il allait bien falloir sortir ces huit corps, et leur offrir une sépulture digne du funeste coup du destin qui les avait frappés. Wilfrid avait, contre son gré, pris le contrôle des opérations. Il ne disait mot. Il ne les trouvait plus. Il aurait voulu être loin de tout ça, mais il se convainquait qu’il se devait de terminer le sale boulot. Il était harassé, la tête lui tournait et la puanteur du bûcher lui soulevait le cÅ“ur. Il ne faisait que des signes, de la main ou du menton.  Les premiers corps, noircis, torturés, rabougris, apparurent sous les gaffes qui fouillaient les cendres. Des yeux s’embuèrent. Certains vomirent. Tous se regardèrent, par en dessous, les yeux fuyants, ne sachant plus que faire. Comment sortir ces corps de là tout en préservant leur dignité? Ils attendaient un signe.  Wilfrid surmonta son dégoût, ramassa une fourche et s’approcha du bord du solage. Il avança la fourche, hésita un instant, puis, fermant les yeux, la planta dans un premier corps. Une douleur lui transperça les entrailles. Il eut l’impression d’assassiner ce corps. Un flot de larmes l’aveugla quand il tira la masse difforme par-dessus le rebord du solage et qu’il la déposa sur la neige noircie par les cendres. Plusieurs reculèrent devant le corps calciné. Une autre douleur lacéra Wilfrid quand il retira la fourche du cadavre. Il la sentit qui sortait de son propre corps, tirant avec elle des lambeaux de sa chair. Laissant échapper un cri rauque, il  planta violemment la fourche dans la neige et s’éloigna en titubant et en vomissant. Le geste de Wilfrid en hasarda d’autres, qui saisirent fourches et gaffes. La répugnante besogne s’accomplit très vite, tous souhaitant en finir rapidement. Au fur et à mesure que les corps se retrouvaient sur la neige, d’autres les couvraient rapidement de toiles de caoutchouc, les enroulaient autour et transportaient ces restes sur un camion stationné tout près. 

 

(par Jean-Pierre Robichaud)

 

Les quatre ainés, deux garçon et deux filles, s’en sortent miraculeusement indemnes. Ces quatre nouveaux orphelins (leur père, souffrant d’une maladie chronique, est interné au moment du triste évènement), âgés de douze à seize ans, sont «adoptés» par leur grand-père maternel puis dispersés pour leurs études.

 

Malgré leur désespoir, les quatre orphelins vont s’accrocher, lutter, persévérer. Ils s’approchent et s’inspirent d’oncle Wilfrid et tante Marie-Paule qui les soutiennent pendant leur difficile passage à l’âge adulte et à une vie autonome. Les considérant comme leurs propres enfants, ils sont leur port d’attache, leurs «psychologues», prêtant une oreille attentive, glissant un bon mot, un conseil à l’occasion, les recevant lorsqu’en congé d’étude. 

 

Et même s’il existera toujours au fond de leur âme un grand trou noir,  les orphelins de Manneville réaliseront de belles carrières et fonderont chacun une famille. À l’instar de l’ancêtre acadien et des orphelins de St-Aubert, la joie de vivre, l’opiniâtreté, la résilience des orphelins de Manneville en a fait des modèles pour nous tous.

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