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Les Robichaud et le Grand Dérangement

 

Pour bien comprendre l’objet de cet exercice, il est bon de se remémorer cet évènement historique que fut la déportation acadienne, souvent appelée le Grand Dérangement.

 

Par le traité d’Utrecht en 1713, la France cède la Nouvelle-Écosse aux Britanniques. Elle conserve l’Isle Royale (Île-du-Cap-Breton) et l’Isle-Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard), et elle maintient sa présence dans le territoire de l’actuel Nouveau-Brunswick. Un statut de ‘neutres’ est accordé à ceux qui restent en Nouvelle-Écosse; ils ont droit de pratiquer leur religion mais ne pourront prendre les armes en cas de guerre.

 

En 1754, la reprise des hostilités contre les Français en Amérique, incite le lieutenant-gouverneur Charles Lawrence à mettre son plan à exécution, soit de déloger les Acadiens pour céder leurs terres à des sujets britanniques. La guerre de Sept Ans n’est pas encore officiellement déclarée. L’ancienne colonie française subit son coup de grâce en 1755 avec le début de la déportation systématique de la population acadienne.

 

Chassées de leurs habitations et dépossédées de leurs terres, leurs biens saisis ou détruits, les familles sont embarquées sur des bateaux, dépouillées de tout sauf de quelques effets personnels. Dans l’empressement et la confusion, plusieurs familles sont séparées. Les naufrages, la malnutrition, l’entassement et la maladie, font de nombreuses victimes.

 

La déportation commencée en 1755 au Fort Beauséjour dans la région de Beaubassin, s’est poursuivie jusqu’en 1763 avec la fin de la guerre entre la France et l’Angleterre. Au total, près de 10,000 personnes, soit à peu près 75% de la population, sont déportées, majoritairement dans les colonies américaines, mais également vers l’Angleterre et la France. Quelques milliers dont certaines familles, mais plus souvent des individus, échappèrent à la déportation en fuyant à travers bois, se réfugiant pour la plupart dans la Baie-des-Chaleurs et la Vallée-du-Saint-Laurent, aidés des Micmacs et autres peuples alliés de langue algonquine.

 

Mais, pour nombre d’entre eux, le Grand Dérangement signifie l’exil. L’errance et une pénible réinsertion dans d’autres milieux marquent l’existence des déportés durant des décennies. Plusieurs choisiront de revenir de leur exil, dans un endroit qui sera différent du premier puisque leurs anciennes terres sont occupées par l’envahisseur. C’est ainsi qu’entre 2000 et 4000 personnes, fugitifs et déportés, arriveront surtout au Québec, mais aussi dans la péninsule acadienne, pour souvent se regrouper et former de nouvelles communautés.

 

Aujourd’hui, au moins 3 millions de Québécois d’ascendance canadienne-française, ont au moins un ancêtre d’origine acadienne (Cahier québécois de démographie, 2008). D’autres ‘petites cadies’ sont nées hors-pays suite aux déportations, nommément en Louisiane et en Haute-Bretagne.

 

Pour les familles Robichaud présentes en Acadie, comment le Grand Dérangement a-t-il été vécu et quelles furent les conséquences? Pour répondre à cette question et rendre l’exercice plus compréhensible, il faut séparer les membres des familles Robichaud en deux catégories: les Robichaud qui ont été embarqués sur des bateaux pour être déportés hors-pays, qu’ils reviennent ou non, et les Robichaud qui ont fuit la déportation, qu’on qualifiera de fugitifs. Dans les deux cas, seront considérés les célibataires, les couples mariés et leurs enfants, et les petits-enfants le cas échéant. Les enfants qui naîtront après la déportation, qu’ils reviennent ou non, ne sont pas considérés des déportés ni des fugitifs. Toutefois, les Robichaud qui se trouvaient sur le Pembroke (cf. La mutinerie du Pembroke), ne sont pas considérés comme des déportés mais des fugitifs. On peut ainsi avancer qu’un minimum de 250 membres des familles Robichaud ont été déportés et qu’on dénombre près de 100 fugitifs Robichaud. On peut penser que le nombre réel de fugitifs est supérieur parce que ces individus sont les plus difficiles à retracer.

 

Il n’est pas surprenant de constater que toutes les familles des 6 enfants de l’ancêtre Étienne Robichaud et la majorité de leurs petits-enfants, ont été concernés par la déportation. De même, tous les enfants de l’ancêtre Étienne, sauf Charles, ont des membres qui se sont retrouvés sur le Pembroke. La famille de Charles a été déportée sur d’autres bateaux du fait que Charles avait quitté Annapolis Royal vers 1720 pour s’établir au Bassin-des-Mines.

 

Des membres d’une même famille sont souvent déportés dans des endroits différents. Ainsi, les 4 filles d’Alexandre à Étienne, encore vivantes lors de la déportation, se retrouvent à des endroits différents: Antilles, Caroline-du-Sud, Massachusetts, Connecticut.

 

Aucun Acadien n’a été déporté en Louisiane. Ce sont des déportés aux Antilles ou dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre qui y ont volontairement migrés, à partir de 1764. Ce fut le cas de René à Charles et de Bruno à Joseph à Prudent qui furent les pionniers des Robichaud en Louisiane. Aucun Robichaud ne semble y revenir; plusieurs y naissent, s’y marient et assurent une descendance. D’autres Robichaud, en partance de Nantes (France) les rejoindront en 1785. Certains déportés perdront leur identité du fait que les noms des Acadiens à l’embarquement ou dans les prisons, sont inscrits par du personnel anglais. C’est ainsi que l’on retrouve des Robshaw et des Robertshaw encore aujourd’hui, en Louisiane, au Texas et au Massachusetts.

 

Il apparaît que sur plus de 250 Robichaud déportés, près de la moitié reviennent de leur exil; plusieurs se marient à l’étranger et y ont des enfants. C’est surtout le cas des familles de Charles à Étienne. Fait à souligner, la plupart des exilés se marient entre Acadiens, même ceux déportés en France. Les régions côtières de la Bretagne et de la Normandie sont les régions qui ont accueilli les Robichaud déportés en France.

 

Relativement peu de déportés Robichaud reviendront dans leur Acadie natale. La plupart reviendront au Québec. On sait que le gouverneur James Murray avait encouragé l’immigration après 1765, et il ne s’opposait pas au retour des immigrés acadiens. La majorité des immigrants Robichaud sont venus du Massachusetts en même temps que d’autres familles. La région hôtesse privilégiée des Robichaud, comme bien d’autres familles, fut sans contredit la région L’Assomption-St-Jacques, région qui fut vite surnommée la ‘Petite Cadie’. Les autres régions ayant accueilli des Robichaud déportés sont Québec, Bonaventure, Deschambault, Laprairie, St-Denis-sur-Richelieu.

 

Si peu de déportés Robichaud reviennent en Acadie, une famille complète fait exception, soit les enfants du deuxième mariage de Joseph à Charles, lequel Joseph avait été déporté à Saint-Malo. Même si les deux parents décèdent à Saint-Malo, 9 enfants dont Marie-Blanche, elle-même veuve avec 5 enfants, et Pierre avec 7 enfants, reviennent à Bonaventure, avant de s’installer, pour la plupart, dans la région de Saint-Charles-de-Kent et de la Péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick.

 

Parmi les fugitifs, certains continuent une vie de nomade avant de trouver une certaine stabilité. C’est le cas de François à Jean à Charles qui se marie à Québec en 1758, baptise une fille à Bécancour en 1760, baptise un fils à l’Islet en 1762, lequel retournera à Bécancour, baptise un fils à Saint-Rock-des-Aulnaies en 1764, lequel se marie à Port-Joli en 1791, mais retourne, comme son père, à Bécancour, donc sans laisser de descendance en Côte-du-Sud.

 

Les principales régions hôtesses de fugitifs Robichaud sont Québec, Bonaventure, Bécancour, L’Assomption-Saint-Jacques, Côte-du-Sud, Île-du-Prince-Édouard, Île-du-Cap-Breton. Les principales familles de fugitifs sont les 2 familles complètes (19 membres) des frères Pierre et François à François dit Niganne, en Côte-du-Sud, via la Rivière-Saint-Jean; la famille de Pierre à Charles à l’Île-du-Prince-Édouard, dans un premier temps, ensuite à la Baie Sainte-Marie (N.É); mentionnons aussi Prudent à Joseph à Prudent qui, après les troubles, s’est installé avec sa famille à Meteghan (N.É) dont il fut fondateur. Se retrouvent aujourd’hui dans la région de la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, les ROBICHEAU, descendants de Charles, lesquels forment un clan distinct des ROBICHAUD descendants de Prudent.

 

Parmi les faits inusités qui ont résulté de la déportation des Robichaud, il faut signaler le cas de Michel à Joseph à Prudent, et deux des enfants de Pierre à Prudent, qui, déportés à Boston, s’y sont mariés civilement entre Acadiens, et qui ont réhabilité leur mariage en tant que ‘français-catholiques’, à leur arrivée à Deschambault, à l’automne 1766.

 

Signalons aussi le cas de Pierre à Pierre à Prudent, né en 1753, qui a joint l’armée américaine sous le nom de Peter Robshaw, le seul Acadien à faire partie des ‘Minute Men’ (hommes prêts à une minute d’avis à prendre les armes pour la Révolution américaine  en 1775. Son jeune frère Joseph s’est aussi joint aux troupes de la Révolution américaine. Les deux obtiendront des concessions de terre dans le Maine pour leurs services.

 

Pour ce qui est des Robichaud déportés et décédés en mer, on en compte une douzaine dont plusieurs lors du naufrage du Duke William le 13 décembre 1758. On peut penser que ce nombre est supérieur du fait que plusieurs Robichaud sont indiqués ‘inconnus’ dans les registres, et que pour d’autres, il existe ni endroit ni date de décès.

 

Autre circonstance résultante de la déportation des Robichaud, est le fait que les trois lignées de Robichaud à Étienne (Prudent, Francois et Charles) se sont retrouvées présentes, et encore aujourd’hui, dans la Péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick, alors que rien n’aurait pu le prévoir. En effet, Otho, fils de Louis à Prudent, suite à sa déportation au Massachusetts, revint à Québec, puis se retrouve à Bonaventure, puis à Néguac (N.B) dont il sera fondateur. Dans le cas de Jean à François à Francois dit Niganne, après quelques années comme fugitif en Côte-du-Sud, il retourne à sa Rivière Saint-Jean natale, puis monte au Madawaska avant de se retrouver à Tracadie dont il sera le pionnier de sa lignée. Pour ce qui est des frères Isidore et Jean-Baptiste à Joseph à Charles, ils se marient en France, puis reviennent en 1774 sur un bateau de la compagnie des Robin pour lesquels ils travailleront à Bonaventure. Ils ne seront pas longtemps à la merci des Robin puisque Isidore se retrouvera à Bas-Pokemouche (Inkerman aujourd’hui) dont il sera fondateur. Tant qu’à son frère Jean-Baptiste, il s’installera à Shippagan dont il sera l’un des pionniers.

 

On peut conclure que les Robichaud, l’une des familles souche de l’Acadie, n’ont pas été épargné lors du Grand Dérangement. En effet, les membres des familles Robichaud en auront vécu tous les sévices. Cette dispersion, cruelle perfidie bien plus que nécessité de guerre, aura toutefois permis de multiplier la présence de Robichaud, non seulement en Acadie, mais au Québec, en Louisiane, en France et ailleurs.

 

Que les souvenirs vivants de ces valeureux ancêtres aident les Robichaud d’aujourd’hui à cultiver leurs racines acadiennes.


 

Fernand Robichaud, (descendant de la lignée à François dit Niganne à Étienne), Sorel-Tracy, 2016.



N.B  Ce texte n’a pas la prétention de représenter l’exactitude des faits énumérés. C’est avant tout le résultat d’un exercice de recherche fait par un amateur intéressé par l’histoire de ses ancêtres Robichaud déportés lors du Grand Dérangement. Un merci spécial à Armand G. Robichaud, de Shédiac, pour la révision de ce texte.

 

 

La Mutinerie du Pembroke

 

 

Une page du Grand Dérangement demeure peu connue, soit la mutinerie de 232 déportés acadiens embarqués de force sur le Pembroke, à destination de la Caroline du Nord, en décembre 1755. Les listes des passagers ont dû être reconstituées; la répartition la plus probable est la suivante: 33 hommes, 37 femmes, 70 fils et 92 filles. L’équipage compte 8 hommes en tunique rouge. De ces 232 passagers, plus de 60 sont de la famille rapprochée de Prudent Robichaud. Les Robichaud, pour la plupart, avaient choisi de rester à Annapolis Royal après l’occupation anglaise, comme la plupart des familles souche de Port-Royal, telles les Melançon, Béliveau, Landry, Petitot, Doucet et autres. C’est ainsi que plusieurs membres de ces familles se retrouvent sur le Pembroke, d’autant plus que l’embarquement se fait sur la petite Île-aux-Chèvres, face à Annapolis Royal.

 

Dans son recueil paru en 2013, intitulé ‘’Prudent’’, Georgette LeBlanc, ayant elle-même Prudent Robichaud comme l’un de ses ancêtres, fait reprendre vie aux personnages historiques que sont devenus Prudent Robichaud et Charles Béliveau. L’historien Placide Gaudet avait aussi commenté cette histoire en 1922. L’abbé Raymond-Henri Casgrain avait, au 19 ième siècle, relevé de tradition orale, certains souvenirs de l’histoire du Pembroke. Le ‘Boston Gazette’ en avait fait sa première page le 15 mars 1756.

 

On sait que dans la seule année 1755, 6000 à 7000 acadiens sont déportés entre septembre et décembre dont les 600 derniers en décembre. Le dernier bateau d’un convoi de 6, à partir d’Annapolis, le 8 décembre 1755, est  le Pembroke, un senau de 139 tonneaux conçu pour le transport des bestiaux. Son mât principal avait été brisé en mer. Charles Béliveau, charpentier et marin, fût mandaté par le capitaine en tunique rouge pour le remplacer. Celui-ci avait aussi demandé au patriarche Prudent Robichaud de les accompagner pour le choix du gros pin qui deviendra le futur mât. Ironie du sort, les deux hommes sont embarqués sur le Pembroke.

 

Depuis le départ du Pembroke, les déportés entendent ce qui se passe sur le pont et réalisent que le capitaine est peu expérimenté. Une tempête se lève sur l’océan; le mauvais temps a séparé le convoi de bateaux. L’équipage est en panique et ça prie fort dans la cale. Le regard de Prudent croise celui de Béliveau. Prudent l’aîné, lance le signal: ‘il faut prendre le boat’. Béliveau et 5 de ses compagnons parmi les plus costauds mettent un plan à exécution; ils profiteront du fait qu’à tour de rôle, 6 prisonniers ont la permission de monter sur le pont par l’écoutille pour éviter la suffocation. En un rien de temps, la sentinelle et tout l’équipage sont neutralisés, sans mort d’homme. Tout le monde monte sur le pont. Béliveau prend la gouverne du Pembroke avec l’aide de Dugas et Landry et quelques autres au pied marin. Le bateau est ramené dans la Baie Sainte-Marie dans un premier temps, mais de peur de s’y faire prendre par les Anglais, il met le cap sur l’embouchure de la Rivière Saint-Jean en longeant la côte de la Baie de Fundy. Il accoste le 8 janvier 1756.

 

Les rescapés du Pembroke se réfugient avec l’aide des Malécites sur le site du site Fort Ménagouèche (Saint-Jean), brûlé en juin précédent. Lorsqu’un bateau français, avec un équipage anglais déguisé aux couleurs françaises, découvre le Pembroke, rescapés et Malécites, après avoir constaté la duperie, font feu sur le bateau, de sorte que celui-ci se retire à Port-Royal. Le Pembroke sera brûlé pour ne pas que les Anglais en reprennent possession. Toujours avec l’aide des Malécites, les rescapés remontent la Rivière Saint-Jean. La plupart se rendent au village de Sainte-Anne-Des-Pays-Bas. Les vivres viennent à manquer et sur recommandation de Charles de Boishébert, protecteur des Acadiens de la Miramichi et de Rivière-Saint-Jean, la plupart des rescapés du Pembroke partiront pour Québec à la fin de l’été 1756. C’est le cas de Charles Béliveau qui y décède en 1758. Tant qu’à Prudent, il décède à l’été 1756, à 87 ans, à la Rivière-Saint- Jean. On peut penser que Prudent avait trouvé refuge chez ses neveux Pierre et François Robichaud, au Nid d’Aigle, où il a peut-être vécu ses derniers jours. Ce Prudent, homme respecté et influent, qui entretenait d’excellentes relations, autant avec les Acadiens et les Micmacs, que les Anglais. Ce Prudent qui tout sa vie...du moins jusqu’à cette année 1755, avait crû qu’il serait possible de vivre en toute liberté et dans l’harmonie dans cette Acadie devenue un peu la sienne.

 

Lisons les dernières lignes du recueil de Georgette LeBlanc alors que le destin du Pembroke vient de changer. (p.107 à 113)

 

Fernand Robichaud, 2016

 

 

N.B  Il existe plusieurs versions de la’’ Mutinerie du Pembroke’’. Ce texte relate les éléments les plus plausibles de l’évènement, et a été écrit avant tout pour fin de partage de celui-ci, lequel a concerné plusieurs ancêtres Robichaud. Un texte complémentaire à celui-ci fait un survol de tous les Robichaud déportés entre 1755 et 1762.

 

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