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Le Baron se raconte

par Fernand Robichaud,Sorel-Tracy, Qc

Fernand Robichaud, a présenté son texte à une rencontre de la famille Robichaud à Saint-Jean-Port-Joli, à Pâques 2018 et aux Retrouvailles de la famille Robichaud à Shédiac en Acadie, le 18 août 2019, dans le cadre du Congrès mondial acadien.

 

En parcourant la généalogie de nos ancêtres, on découvre que si la plupart avaient en apparence une vie plus tranquille, d’autres ont vécu des aventures fascinantes, des histoires qui devraient intéresser leurs descendants.

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Regard sur les 30 ans en Acadie du légendaire Jean-Vincent d’Abbadie, troisième baron de Saint-Castin, l’un des personnages les plus complexes, les plus originaux et les plus attachants de l’histoire de l’Acadie.

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                                                     LE BARON SE RACONTE

 

Contrée de douce souvenance que mon Pentagouet!

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J’avois 13 ans lorsque je m’enrôlai dans le Régiment de Salières pour traverser au lieu appelé Québec… en Nouvelle-France, en l’an 1665.

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J’étois porte-étendard.  J’avois toujours prisé être en avant :  tu vois mieux, tu vois loin…   Après avoir bravé les Iroquois, notre Compagnie rentra en France.  J’étois fort en peine!...

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Deux ans plus tard, le capitaine De Grandfontaine, alors dans le nouveau régiment Royal-Marine, me demanda de m’embarquer à nouveau pour la Nouvelle-France.  Il venoit d’être nommé Gouverneur de l’Acadie.

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Par le Traité de Bréda, l’Acadie redevenait Françoise.  Elle le resta pendant mes 30 ans à Pentagouet, malgré que nous fûmes en conflit avec la Nouvelle-Angleterre presque continuellement…

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Les Anglois nous redonnâmes le vieux Fort de Pentagouet au mois d’août de l’an 1670.  Comme officier, je devois d’abord renforcir le Fort.  Puis j’explorai la coste et en ai dessiné une carte.  Ensuite, j’eus la mission d’établir le meilleur passage vers Québec :  120 lieues de rivières et de montagnes.  J’étois fort aise…

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J’avois rapidement coudoyé toutes les peuplades du Soleil Levant.  D’abord les Pentagouets et leur sagamo Madockawando.  Ensuite, les Norridgewogs (Kennebecs), les Passamaquoddys, les Wolastoqiyks (Malécites)…  Madockawando étoit grand Bashaba de toutes ces peuplades Abénaquises.

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Nous créâmes des alliances.  Je savois déjà que j’aurions besoin des Abénaquis, et eux avoient compris que je pouvions les aider.  Avec eux, tout étoit une question de confiance… et ils n’avoient plus confiance aux Anglois…

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Pour les Anglois de la Nouvelle-Angleterre, les Abénaquis étoient un peuple infâme, à faire périr jusqu’au dernier… Moi, mon devoir étoit de faire obstacle aux empiétements Anglois en Acadie. Je devois aussi reprendre aux Anglois les activités mercantiles qu’ils avoient avec les Abénaquis.  Pentagouet étoit la contrée la plus au sud de l’Acadie et la plus proche de la Nouvelle-Angleterre. 

J’eus rapidement des vues particulières pour l’aînée du Bashaba Madockawando, Pidianske.  Elle me donnoit deux filles avant de s’éteindre après la naissance de la deuxième.  Et comme le vouloit la coutume de cette tribu, la sœur de Pidianske, Nicoskwé, dame Melchide, encore sans accordailles, la remplaça.

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Puis, j’appris la mort de mon frère Jean-Jacques.  Je devenions par le fait même, troisième Baron de Saint-Castin.  Mais, c’est en Amérique que je serois Baron… pas en France…

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La même année, Aernoutsz, un flibustier Hollandois à la solde des Anglois, brava et pilla le Fort Pentagouet.  Nous étions rinque 25 soldats contre une centaine de mercenaires.  Notre Gouverneur neu, le Sieur De Chambly, s’y trouvait.  Il fut gravement blessé.  Moi, on me brûlit les doigts pour ne point vouloir obtempérer à donner allégeance au Prince d’Orange.  On fut fait prisonniers à Boston.   Je m’échappai et traversai à Québec rencontrer Frontenac, puis revins avec une rançon pour libérer De Chambly et avec une mission…

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C’est à partir de ce moment que j’avions vraiment compris l’importance de l’alliance avec les Abénaquis…C’est aussi là que j’avions décidé de construire mon Habitation, à la bouchure de la Rivière Bagaduce, à une demie lieue du Fort… Un site idéal pour la défense et le troc…

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Mais il falloit des armes, des munitions, des avitaillements…  C’est avec la traite des pelleteries que je pouvions acheter des marchandises pour nos peuplades, et que nous pûmes agrandir notre cabanage, plus au nord sur la Pentagouet, où se tenoient les conseils de guerre avec les autres chefs alliés.

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La réalité en Acadie étoit toute autre que celle des habitants de la Nouvelle-France.  Le troc, c’étoit une question de survie…  j’avions fait de bonnes affaires avec Port-Royal, la France et même les Anglois de Boston…  J’eus de l’aide aussi… surtout du corsaire Baptiste Maisonnat et du marchand-caboteur Abraham Boudreau, le beau-frère d’Étienne Robichaud…

C’est que la France nous délaissait… la vieille France, elle étoit plus intéressée par la construction de châteaux… que par le développement de ses colonies…

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Pendant ce temps, la petite guerre entre les Anglois et les peuplades Abénaquises se transporta vers l’est, vers l’Acadie.  En l’an 1676, le chef Métacomet fut piégé à Pemaquid.  Puis des dizaines de guerriers Norridgewogs (Kennebecs) furent tués dans une attaque surprise à Cocheco (Dover)… C’est à partir de là que nos guerriers Pentagouets s’engagèrent dans le conflit…

Les Manteaux Rouges se demandèrent comment une bande de « savages » pouvoit si bien se défendre…   Madockawando m’avoit appris que dans ce pays, ce n’étoit point la place pour la guerre à l’européenne… On étoit peu nombreux mais il falloit point le paraître…

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Les Anglois n’acceptèrent point de voir un officier François s’apparier aux Abénaquis.  Ils commencèrent à nous faire des avances pour nous attirer de leur côté.  Ils vouloient que je leur cède Pentagouet.  Il n’en étoit point question… J’étois devenu autant Abénaqui que François, mais je savions quand accoutrer mon habit de militaire, au service de la France…

Pendant plusieurs années, j’avions réussi à rester à distance des conflits politiques entre l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre. 

 

J’appliquais la devise familiale :  « Ni trop près, ni trop loin ».

 

Il m’est avis qu’il avoit aussi beaucoup d’instabilité à Port-Royal.  Les Gouverneurs étoient jamais en place très longtemps… Pas moins de 8 pendant mes 30 ans à Pentagouet… Je m’en accommodai… en fait, ils me ménagèrent… eux itou vouloient tirer avantage des activités mercantiles en Acadie.

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C’étoit la même chose en Nouvelle-Angleterre… Andros, leur Gouverneur neu, n’avoit qu’un seul but, celui de récupérer tout le commerce de la contrée.  Il avoit tout fait pour troubler Madockawando et nuire à mes affaires…

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Puis en 1688, la guerre de la Ligue d’Augsbourg éclata en Europe.  Elle fût prétexte pour les Anglois de la Nouvelle-Angleterre d’envahir la contrée des Abénaquis.

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La même année, j’étois parti avec force guerriers en Canada, pour aider le Marquis de Denonville à chasser les Iroquois qui étoient de retour.  Andros en profita pour venir saccager le Fort et mon Habitation… C’en étoit trop!... Andros ne savoit point qu’en me défiant personnellement, il venoit d’offenser tous les Abénaquis…  Nous nous sommes rebellés!  Qu’on en doute point!...

Nous menâmes des assauts guerriers et répandirent la terreur dans quantité de villages de la Nouvelle-Angleterre, hiver comme été.  On avoit même détruit les Forts de Pemaquid et Sakok (Saco).  Le chef Kancamagus s’est même rendu à Cocheco (Dover) venger le massacre des siens… 13 ans auparavant…   

 

Et lorsque nos combattants apprirent le massacre de colons par les Iroquois à Montréal, leur rage s’est empirée.  Le Fort Loyal à Caskoak (Casco) fut terrassé et Newichiwannock (Salmon Falls) pillé.

Certes, les Anglois ont riposté.   Le Gouverneur Phipps attaqua et pilla Port-Royal.  Il avoit dessein de voguer jusqu’à Québec.  Je m’y rendis pour instruire Frontenac… juste à temps…

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Les Abénaquis continuèrent à embrouiller les Anglois.  Les villages de Agamenticus (York) et Webhannet (Wells) furent attaqués au début de l’hiver 1692.   Puis, le capitaine Church vint attaquer Pentagouet.  On l’a repoussé mais il continua à patrouiller la coste jusqu’à Port-Royal pour assaillir tout ce qui étoit Acadien.

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À la Rivière Sainte-Croix, il fit prisonniers les familles de Serreau de Saint-Aubin et de Jacques Petitpas, le beau-frère de Prudent Robichaud.

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Le Gouverneur Phipps persuada Saint-Aubin et Petitpas d’entrer dans un complot pour me capturer, moi, le « god damn baron ».   Le redoutable John Nelson était derrière la manœuvre.   Les Sieurs   Saint-Aubin et Petitpas esquivèrent le plan.  Les deux Acadiens ont été récompensés par le Gouverneur Villebon.

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Un an plus tard se produisit un événement fortuit.  Madockawando, âgé et rompu par la guerre, réalisait le surnombre des Anglois, la perte de moult guerriers, la reconstruction du Fort Pemaquid, le manque d’appui de la France…  Il entreprit de négocier un traité de paix avec Phipps qui vouloit depuis longtemps la neutralité des Abénaquis…

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Le Père Jésuite Louis Thury, autant guerrier que Robe Noire, et très présent parmi nos peuplades, fut insulté que Madockawando ne l’ait point consulté.  Avec l’appui du Gouverneur Villebon et des chefs Madaodo et Moksus, ce fut la fin des négociations… Une expédition dévastatrice fut menée par tous les chefs alliés, à Oyster Bay, pour démontrer aux Anglois que tous les Abénaquis étoient solidaires.

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La guerre se poursuivit donc et la terreur étoit de retour le long de la frontière de la Nouvelle-Angleterre.  Toute l’Acadie demeura sur le qui-vive.

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À l’hiver 1696, le capitaine Chubb piégea plusieurs chefs rassemblés à Pemaquid pour un échange de prisonniers.  Seuls les chefs, Nescambiouit et Moksus ont pu s’enfuir. 

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Puis Frontenac apprit la reconstruction du Fort Pemaquid et souhaita le détruire à nouveau.  Un conseil fut organisé à Port-Royal avec le Gouverneur Villebon.  Je devois préparer l’assaut par terre et d’Iberville se chargerait de l’abordage.  Baptiste Maisonnat qui connaissait bien la coste, serait pilote pour d’Iberville sur l’Envieux à partir de la Baie Françoise et Simon-Pierre Denys de Bonaventure sur le Profond, l’autre vaisseau de d’Iberville.

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Cette fois ce ne fut pas un rendez-vous manqué avec Pierre Lemoyne d’Iberville, ce fils de la Nouvelle-France et son plus brillant militaire, ce Seigneur des mers, le héros de la Baie d’Hudson… et personnage aussi détesté des Anglois que moi…

À Pemaquid, le capitaine Chubb mit bas les armes rapidement… On fit leurs soldats prisonniers.  On libéra les nôtres.  Nous ramassâmes canons, munitions et mousquets… Le lendemain, la plus grosse forteresse Angloise entre l’Acadie et Boston n’était plus qu’une ruine fumante…

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La victoire de Pemaquid ne régloit rien.  J’en avois parlé avec d’Iberville.  Tous savions que seule une vaste expédition militaire, financée par l’Europe, puisse changer quelque chose à la situation coloniale en Amérique…

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D’Iberville partit pour une autre aventure… à Terre Neuve.  Le chef Nescambiouit l’accompagna.  Moi… je pressantais que j’avois livré ma dernière bataille… heureux de rejoindre mon Habitation, Dame Melchide, et mes enfants…

Dame Melchide… la tradition orale dit vré… elle étoit d’une beauté remarquable et d’un esprit élevé. 

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Comme toutes les femmes de sa tribu, elle étoit chargée de bijoux, de boucles, d’oreilles et de bracelets… on auroit dit une Françoise de haut rang, aux gestes raffinés… elle étoit digne d’être Baronne…

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Son père Madockawando, s’en alla lentement vers la Terre des Esprits… Madockawando… le plus grand chef qui fut dans ces contrées… C’étoit un être d’une intelligence supérieure… Madockawando… grave, sérieux dans ses discours comme dans sa démarche.  Il avoit un prestige extraordinaire parmi ses peuplades.  Il regardait jusqu’au fond des âmes pour y voir ce qu’elles ne disaient point…

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La légende qui le poursuit fait de lui un homme-médecine, un sage, mais il fut aussi un homme de guerre… il tenoit entre ses mains les deux éléments de la conscience des peuples du Soleil Levant :  d’un côté, la spiritualité, orientée vers la paix et l’entente avec tout ce qui vit, et de l’autre, un fort instinct de défense et de survie…  À la mort de Madockawando, je devins chef héréditaire des Pentagouets…

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Profitant du temps de paix du Traité de Ryswick, j’avions décidé de retourner en France, dans mon Béarn natal, pour mettre de l’ordre dans mes affaires de famille.

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Je me retrouvâmes dans une suite interminable de chicanes et de procès.  Mon beau-frère qui administrait mes biens, avoit fini par s’en croire le propriétaire, et s’étonna que je lui demande des comptes.

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Je me préparois à revenir en Amérique alors que je fus frappé par la maladie.  Je devois donc accepter de trépasser sans revoir mon cher Pentagouet…

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Mon Pentagouet… qui devint le bucolique village de Castine… où mon nom résonne encore…

Ma rivière Pentagouet… qui devint la Penobscot… où se trouve encore une peuplade du Soleil Levant... où brûle encore la flamme de l’Esprit de Madockawando…

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Et puis il eut mon fils Bernard-Anselme qui devint quatrième Baron de Saint-Castin… Il fut proclamé grand chef à 18 ans, à sa sortie du Séminaire, et nommé Commandant de l’Acadie par Vaudreuil.  Il se fit même corsaire jusqu’à la prise de Port-Royal.

Anselme et mes filles Thérèse et Anastasie, se marièrent l’année de ma mort, en présence de Dame Melchide… qui eut le temps de connaître ses petites filles, Françoise et Marie, qui plus tard, firent épousailles avec les frères Pierre et François Robichaud, à François Niganne, à la Rivière Saint-Jean… Ce sont eux qui assurèrent ma plus grande lignée…

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Voilà ce que ma mémoire se rappelle… moi, Jean-Vincent d’Abbadie, troisième Baron de Saint-Castin.

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Fernand Robichaud, Sorel-Trascy octobre 2019.

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L’auteur réfère le lecteur aux documents suivants dont il s’est largement inspiré :

  • Saint-Castin, baron français, chef amérindien, 1652-1707, Marjolaine Saint-Pierre, Les Editions du Septentrion, Juin 1999.

 

  • Le Baron de Saint-Castin, Yves Cazaux, Alban Michel Éditeur, mars 1990.

 

  • Sur les Chemins de l’Acadie :  Le Baron de Saint-Castin (p. 70 à 126), Eugène Achard, Éditions Beauchemin, 1951.

 

  • Les Flibustiers de l’Acadie, Armand G. Robichaud, Les Éditions de la Francophonie, 2002.

 

  • The Wabanakis of Maine and the Maritimes, Américan Friends Service, 1989.

 

  • Dictionnaire biographique du Canada.

L’auteur réfère le lecteur aux documents suivants dont il s’est largement inspiré :

  • Saint-Castin, baron français, chef amérindien, 1652-1707, Marjolaine Saint-Pierre, Les Editions du Septentrion, Juin 1999.

 

  • Le Baron de Saint-Castin, Yves Cazaux, Alban Michel Éditeur, mars 1990.

 

  • Sur les Chemins de l’Acadie :Le Baron de Saint-Castin (p. 70 à 126), Eugène Achard, Éditions Beauchemin, 1951.

 

  • Les Flibustiers de l’Acadie, Armand G. Robichaud, Les Éditions de la Francophonie, 2002.

 

  • The Wabanakis of Maine and the Maritimes, Américan Friends Service, 1989.

 

  • Dictionnaire biographique du Canada.

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