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7. LES NOTOIRES FRÈRES ROBICHAUD, COUREURS DE BOIS

Dans le livre d’histoire du Nouveau-Brunswick (1784-1867) de W.S. MacNutt, le nom Robichaud n’est mentionné qu’une seule fois : « In the autumn the Acadians would advance supplies to the Indians against the produce of the hunting season. But the ability of the savages to pay was forestalled by the Canada traders, especially the notorious Robicheau brothers, who came over the portage at the conclusion of the season, demoralized them with intoxicating liquors, and stripped them of their peltry. »[1] Qui étaient ces notoires frères Robichaud ?

 

Pour mieux comprendre le contexte de l’époque, il est d’abord nécessaire de parler de la discorde entre deux autres frères, ceux-ci originaires d’Irlande, soit le colonel Thomas Carleton (1735-1817), gouverneur du Nouveau-Brunswick de 1784 à 1817, et son frère Sir Guy Carleton (baron de Dorchester) (1724-1808), gouverneur du Canada, puis du Bas-Canada (Québec), de 1766 à 1796. Guy Carleton fait partie de l’état major de Wolfe lors de la conquête et deviendra le deuxième gouverneur du Canada, après Murray. Lorsque, 18 ans plus tard, on découpera une partie de la Nouvelle-Écosse pour accueillir les Loyalistes, la province du Nouveau-Brunswick sera créée, et Thomas Carleton sera le premier gouverneur de la nouvelle province du Nouveau-Brunswick.

 

La frontière entre les colonies du Canada (Québec) et du Nouveau-Brunswick sera l’objet de nombreuses disputes. L’arpenteur de Frédéricton, George Sproule, fixait la limite entre le lac Témiscouata et le fleuve Saint Laurent, sur les hauteurs de Saint-Honoré. Tandis que l’arpenteur de Québec, Samuel Holland, prétendait que tout le Madawaska faisait partie du Bas-Canada, avec la ligne de démarcation à Grand-Sault et, de là, à la rivière Restigouche.

 

Ainsi les coureurs des bois, dont les frères Robichaud, faisaient le commerce des fourrures avec les Indiens et habitants du Madawaska sans trop de considérations pour ces frontières indéterminées. En 1792, un lieutenant de la milice nommé par Québec, Jacques Cyr du Madawaska, intente une poursuite contre deux résidants du Madawaska, Augustin Dubé et Pierre Duperré, pour des dettes non payées aux frères Robichaud du Canada. Le débiteur paya les dix louis demandés, qui furent remis aux ayants droit. Le juge de paix nommé par le Nouveau-Brunswick, John Costin, ne voit pas d’un bon oeil cette incursion dans le territoire réclamé par le Nouveau-Brunswick. L’année suivante, Jacques Cyr sera arrêté par Costin et retenu à Grand-Sault, jusqu’à ce qu’il s’engage à rembourser l’argent qui avait été perçu au nom de la cour de Québec. Le gouvernement de Québec protesta à Londres, où il obtint gain de cause. La conduite du gouverneur Carleton du Nouveau-Brunswick a été sévèrement réprimée. Le frère aîné, Sir Guy Carleton, le baron de Dorchester, a dû donner des leçons de politique à son frère cadet, Thomas Carleton, lorsqu’il lui a expliqué que leurs chicanes pourraient profiter aux Américains qui réclamaient aussi ce territoire : «… it was quite immaterial to which of the King’s provinces Madawaska should belong, that New Brunswick, in pushing the northwestern angle to the north, was furnishing arguments and conviction to the Americans, who, on the same geographic reasoning, would attempt to push their frontier to the north. »[2] Cependant, peu de temps après, le Nouveau-Brunswick obtint définitivement juridiction sur le territoire du Madawaska lorsque soixante chefs de famille signèrent une requête demandant de faire partie du Nouveau-Brunswick plutôt que du Canada afin de demeurer avec leurs parents acadiens.

 

L’histoire de Madawaska, de Thomas Albert, nous dévoile l’identité de ces frères Robichaud : il s’agit d’Anselme et de Michel Robichaud, de la Rivière-des-Caps et de Kamouraska, fils de la réfugiée de Saint-Jean-Port-Joli, la veuve de François, Marie LeBorgne de Bellisle. « Les frères Anselme et Michel Robichaud, marchands de la Rivière-des-Caps et de Kamouraska, firent le commerce des pelleteries dans le territoire du Madawaska, ce qui provoqua d’énergiques protestations de la part des indigènes qui soutenaient avoir le droit exclusif de la chasse et de la traite dans ce territoire. »[3] Les Robichaud et leurs alliés matrimoniaux, Bellisle, d’Amours et Villeray, auraient continué au Canada le métier de commerçant qu’exerçaient leurs parents au Nid d’Aigle sur la rivière Saint-Jean en Acadie, dès 1739, avant d’être délogés par le général Monckton en 1758, lors du Grand Dérangement.

 

Dès le 8 janvier 1769, « Pierre Robichaud of L’Islette, Indian trader » est engagé par John Lymburner, marchand de Québec. Pierre Robichaud, l’oncle d’Anselme et de Michel, possédait aussi une goélette qui servait à la pêche à la morue, qu’il baille en 1766. L’un de ses fils, François Régis, est engagé par Simon Fraser, en 1786, pour la traite des fourrures.

 

Selon Hudon, « La négoce semble la spécialité ou la compétence familiale de ce groupe Robichaud. Cependant, et contrairement aux autres groupes acadiens, les gens du clan Robichaud cherchent moins à s’épouser entre Acadiens. Ils se marient volontiers aux Québécois, à des gens de familles souvent intéressées dans le commerce. »18[4] Une stratégie matrimoniale !

 

Revenons à nos notoires frères Robichaud. Anselme (1753-1819) est dit marchand à Kamouraska et négociant de Rivière-des-Caps. Il épouse, le 23 novembre 1775, Geneviève Marquis ; ils auront 17 enfants. Il a été capitaine de milice de Saint-André-de-Kamouraska et de Rivière-du-Loup, en 1805. Il aurait eu des problèmes d’insubordination avec son officier supérieur. La Gazette de Québec publiait, le 11 avril 1816, l’ordre suivant : « Son excellence l’administrateur en chef, ayant approuvé la sentence de la Cour Martiale Générale sur le cas Anselme Robichaud, de la division de milice de Rimouski, cet officier est relevé de ses arrêts et doit retourner à son devoir. »[5]

 

Michel (1758-1808) épouse à Kamouraska, le 26 janvier 1784, Marguerite Pinette ; ils auront 10 enfants. À son mariage, il est dit « fils de feu François Robichaud, ci-devant marchand de la rivière Saint-Jean ». Plusieurs négociants étaient présents à son mariage, dont son frère Anselme. Michel Robichaud s’insérait, grâce à son mariage, dans le clan de négociants en pêcheries, fourrures et produits agricoles bien établis à Kamouraska. Il a été capitaine de milice de la Rivière-des-Caps. En 1796, il est mention d’un Michel Robichaud du Faubourg des Récollets qui s’engage à Todd McGill & Co. pour aller dans tout endroit désigné. En 1798, un Michel Robicheau de Montréal s’engage à P. Gabriel Cotté pour aller à Michilmakinac (Grands Lacs).[6] Est-ce qu’il se peut que notre coureur des bois acadien ait été aussi loin ?

 

Plusieurs documents font état de Sieur François, Sieur Pierre, Sieur Anselme, … en parlant de ce clan des Robichaud. Selon Thomas Albert, « Ces deux Robichaud (François et Pierre) appartenaient à une très ancienne famille acadienne de la rivière Saint-Jean, anoblie par les gouverneurs français du fort Saint-Jean, pour services signalés, et à qui on avait concédé la Seigneurie de Belle-Isle, … »[7]

 

Extrait de ROBICHAUD, Armand, Des histoires de Robichaud, du Poitou à la mer Rouge, Éditions de la Francophonie, Moncton, 2002, p. 211-215.

 


 

[1] MACNUTT, W.S., New Brunswick, A History 1784-1867, MacMillan, Toronto, 1984, p. 81-82

[2] MACNUTT, W.S., New Brunswick, A History 1784-1867, MacMillan, Toronto, 1984, p. 81.

[3] ALBERT, Thomas, Histoire du Madawaska, entre l’Acadie, le Québec et l’Amérique, La Société historique du Madawaska, Huturbise HMH, Lasalle, Qc, 1982, p. 96 (42).

[4] HUDON, Paul-Henri, Le Clan Robichaud-LeBorgne dans la région de l’Islet, Héritage Acadien, Revue d’histoire et de généalogie, Magog, Québec, février 1997, p. 13.

[5] HUDON, Paul-Henri, Le Clan Robichaud-LeBorgne dans la région de l’Islet, Héritage Acadien, Revue d’histoire et de généalogie, Magog, Québec, février 1997, p. 9-10 ; ROBICHAUD, Donat, Les Robichaud d’Amérique, dictionnaire généalogique, Shippagan, 1999, p. 683-684.

[6] HUDON, Paul-Henri, Le Clan Robichaud-LeBorgne dans la région de l’Islet, Héritage Acadien, Revue d’histoire et de généalogie, Magog, Québec, février 1997, p. 10 ; ROBICHAUD, Donat, Les Robichaud d’Amérique, dictionnaire généalogique, Shippagan, 1999, p. 786.

[7] ALBERT, Thomas, Histoire du Madawaska, entre l’Acadie, le Québec et l’Amérique, La Société Historique du Madawaska, Huturbise HMH, Lasalle, Qc, 1982, p. 43 (97).

 

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